Cet encart de quelques lignes ayant pour thématique « Actualité française » a été noté sur internet, nous avons voulu vous le dévoiler sans attendre.
« Comment ? Vous n’êtes pas mort ? » Dans le one-man-show qu’il propose aujourd’hui à Paris* avant une tournée en Belgique puis en province, Popeck va loin dans l’autodérision. Il évoque ainsi l’étonnement d’une femme qui le pensait décédé et à qui il répond, avec son inimitable accent yiddish : « Ji sais que ji dépassé la date di péremption. Ji conscience que l’espérance de vie, en France pour les hommes, est de 79,4 ans. Ji suis en dépassement horaire… et alors ? »
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N’en déplaise à ses détracteurs (mais en a-t-il ?), l’humoriste est en pleine forme. Il a beau avoir subi récemment une intervention chirurgicale, il fêtera sur scène ses 90 ans, ce 18 mai. « Ne lui parlez pas de son anniversaire, ça l’énerve », glisse Anne, sa femme, comme l’acteur nous reçoit chez lui en ce début de printemps.
Dans l’antre de Popeck
L’appartement, situé dans la banlieue ouest de Paris, est rempli d’objets rappelant la carrière de Popeck. Mais c’est un vélo d’appartement qui trône au milieu du salon qu’aperçoit d’abord le visiteur. « Je fais du sport tous les matins. Dans un coin, traîne le tapis sur lequel je fais mes exercices de gymnastique suédoise pendant une demi-heure », explique l’artiste qui nous emmène bien vite vers sa bibliothèque.
À LIRE AUSSI Gad Elmaleh : « Le stand-up, c’est une salle de boxe » Entre les livres sont déposés, ici et là, d’énigmatiques objets en bois : « Un vilebrequin qui tourne en rond, ne sert plus à rien et me donne le bourdon ; un riflard, sorte de gros rabot, cousin de la varlope mais aussi un trusquin, un instrument qui trace la mortaise et le tenon. Ça vous en bouche un coin, non ? », rigole le comédien.
De l’ébénisterie à la comédie
Popeck, de son vrai nom Judka Herpstu, a débuté dans la vie comme ébéniste. « Au sortir de la guerre, j’ai très vite appris ce métier pour m’en sortir », explique-t-il. Né en 1935, orphelin de mère à 7 ans (déportée dans le convoi n° 3 du 22 juin 1942, elle a été assassinée à Auschwitz), le garçon passe l’Occupation, caché dans une famille à Viarmes (Seine-et-Oise).
À la Libération, il retrouve son père qui a miraculeusement réchappé aux rafles. Mais la scolarité du jeune Herpstu pâtit de ce qu’il vient de vivre. Il ne poursuit pas ses études au-delà de la troisième. « On m’a alors orienté vers un métier manuel, en même temps qu’on me plaçait dans un foyer de jeunes travailleurs à La Varenne. C’est comme ça que je me suis retrouvé à travailler dans le quartier des artisans de la rue du Faubourg-Saint-Antoine », dit-il.
C’est là, en fabriquant des meubles, qu’il découvre ses talents d’humoriste. « J’avais pris l’habitude, à l’atelier, d’imiter l’accent de mon père, originaire de Roumanie. Une manière de parler dont je dois avouer rétrospectivement que j’avais un peu honte. Cela faisait tellement rire mon patron qu’il m’a encouragé à prendre des cours de comédie. Je réalise, a posteriori, que le rire était pour moi un mécanisme d’autodéfense. Tout au long de ma vie, l’humour m’a protégé contre la violence du monde ! »
Premiers pas au théâtre
Au milieu des années 1950, il s’inscrit aux ateliers de théâtre que donne Daniel Postal, une fois par semaine, dans une arrière-salle de la grande synagogue de la Victoire (Paris 9e). L’enseignant repère très vite son talent et l’oriente vers le cours Simon. « Je n’avais malheureusement pas d’argent pour payer cette école. René Simon, son directeur, m’a fait un cadeau merveilleux en m’offrant les frais de scolarité. »
Tout au long de sa vie, Popeck ne cessera d’exprimer sa gratitude envers ce grand professeur de théâtre qui l’aidera à quitter le monde de l’ébénisterie. « Je dois tout à René Simon : mon premier prix de théâtre et un boulot à Europe 1, au sortir de l’école, où j’ai tenu, le temps d’une saison, le standard, la nuit », soupire-t-il. Popeck conserve, comme des reliques, photos et lettres de son maître sur un piano. « J’ai même gardé sa pipe », évoque-t-il.
Du classique au one-man-show
Tour à tour huissier de justice, croque-mort puis vendeur de caleçons molletonnés chez un grossiste (un poste qui lui inspirera son personnage de représentant de commerce spécialisé en sous-vêtements qui continue aujourd’hui de faire rire quatre générations de spectateurs), Popeck débute sur la scène du théâtre de l’Alliance française dans Le Barbier de Séville de Beaumarchais.
Pour l’occasion et parce qu’il joue au milieu de la troupe de la Comédie-Française, dans le cadre des Jeudis classiques, il adopte le pseudonyme de Jean Herbert. Diction parfaite de Titi parisien, le jeune comédien enchaîne les rôles du répertoire, pendant quelques années, continuant à amuser la galerie de ses improvisations autour de la yiddishkeit… en coulisse.
C’est Charles Denner qui l’incite à se produire seul en scène et l’emmène, de force, au cabaret L’Écluse en 1966. Le comédien y rencontre son premier succès. Les affiches de plusieurs cafés-théâtres de la rive gauche annonceront dès lors au programme : Jean Herbert dans le rôle de Popeck.
À LIRE AUSSI Michel Wieviorka : « L’espace des blagues juives se referme » Ses premiers sketchs ressemblent à des nouvelles de Kafka, revues et corrigées par les Monty Python. Il incarne de fait, sur scène, un immigré d’origine roumaine, convoqué au tribunal dans le cadre d’une procédure de divorce. Ne comprenant rien au déroulement de l’audience, il essaye de circonvenir le président de la cour avec ses talents de bonimenteurs. Son personnage se lance dans des monologues échevelés qui font se gondoler le public.
De « Rabbi Jacob » au théâtre de Bouvard
Popeck est lancé. Sa participation à plusieurs films grand public, à commencer par Les Aventures de Rabbi Jacob, en 1973, va asseoir sa notoriété. Lorsque, trois ans plus tard, Philippe Bouvard lui demande de piéger des passants dans la rue, en caméra cachée, son visage devient si célèbre qu’il doit raser sa moustache pour passer incognito.
À raison de 200 soirées de gala par an, les grandes années, Popeck va prendre de plus en plus de place dans sa vie dans les années 1980. Au point que le comique va progressivement abandonner tout autre rôle au théâtre. « De toute façon, j’attends toujours que les Jeudis classiques me versent mes cachets », grince-t-il sur ce ton grognon qu’on lui connaît.
« Plus sérieusement, ce qui me touche, c’est de voir désormais, dans mon public, les petits-enfants, voire les arrière-petits-enfants de gens qui m’ont applaudi dans mes premiers spectacles », émet-il, abandonnant un moment cet accent typique qui est devenu sa marque de fabrique. « Attention, tu perds encore ton accent », le met en garde sa femme.
À LIRE AUSSI Georges Bensoussan : « Les Juifs, interdits d’humour ? » À l’intention d’un public jeune qui le découvre, Popeck se livre depuis plusieurs mois à des apartés inattendus au cours de son one-man-show. « Je m’y raconte un peu. J’y livre quelques souvenirs que j’avais jusque-là réservés à mes seuls proches », soupire-t-il. La plupart ont trait à la guerre. « Moi qui veillais, jusque-là, à ne pas verser dans le sentimentalisme, je me surprends à partager des choses très intimes. »
La pudeur l’empêche encore de raconter les moments les plus douloureux. Popeck s’est néanmoins mis à évoquer le jour où on lui a imposé le port de l’étoile jaune en 1942. « J’ai récité pour la première fois, début mai, un poème que j’avais écrit sur le sujet il y a un bien longtemps. Avec l’âge qui avance, ce passé me revient au visage », fait-il.
Ce retour du refoulé ne doit pas seulement au temps qui passe mais aussi à l’actualité du moment. « Depuis le 7 octobre 2023 et les attaques terroristes du Hamas en Israël, on voit bien le retour de l’antisémitisme. C’est affolant. Jusque-là, j’avais toujours tenu à distance ma judéité. Mais on a beau être un Juif laïque comme moi, cette histoire est là. Elle ne vous quitte pas ».
À LIRE AUSSI Etgar Keret : « L’humour juif est nécessairement minoritaire » La nuit, quand il est pris d’insomnie, Popeck regarde en boucle des documentaires sur la Shoah, compulse le livre de Serge Klarsfeld qui recense les 76 000 déportés de France et s’abîme pendant des heures dans la contemplation des rares photos de ses parents qui lui ont été transmises. Surtout un portrait de son père en haut-de-forme, immortalisé dans le studio d’un portraitiste des grands boulevards peu après son arrivée en France en 1910.
« On dirait un prince. Il était toujours très élégant. Personne n’aurait pu imaginer qu’il était ouvrier dans une imprimerie », sourit Popeck. Sur un autre cliché en noir et blanc apparaît le visage de l’une de ses trois sœurs qui s’est successivement fait appeler Fanny puis Jacqueline et dont l’acteur a découvert à sa mort qu’elle se prénommait en réalité Chana.
« Elle aussi a été arrêtée et internée dans un camp, à Rivesaltes, avant d’être déportée. Elle n’en a jamais parlé, gardant pour elle ce qu’elle avait enduré. Tout juste m’a-t-elle confié, quand je suis tombée enceinte, qu’elle ne pourrait jamais avoir de bébé car les Allemands avaient veillé à ce qu’elle ne puisse pas enfanter. Je n’ai pas osé poser de questions », émet la femme de Popeck.
Ces souvenirs qui le hantent
Le comédien évacue les souvenirs qui l’envahissent, en cet instant, en agitant les bras comme on chasserait des moustiques. Déboule une petite chienne aux faux airs de Yorkshire à poils longs. « C’est l’heure de donner à manger à Chanel. Cet animal va tous nous enterrer. Le vétérinaire m’a dit qu’elle n’en avait que pour quelques jours à vivre quand je lui ai amené, évanouie, après un AVC en début d’année », gronde-t-il sur un air faussement bougon.
Tandis que sa femme administre à l’animal une multitude de soins, le comédien nous emmène dans son bureau pour nous montrer d’autres objets qu’il conserve comme des reliques. L’un d’entre eux surprend. C’est une revue pleine de dessins antisémites des années 1930.
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« Je ne sais pas pourquoi j’avais gardé ce torchon. Un jour, je l’ai déchiré et jeté dans la corbeille », dit-il. Quelques jours après, il trônait à nouveau sur son bureau. C’est sa petite fille qui l’avait reconstitué comme un puzzle et recollé avec du scotch. « Quand ji vous dis que cette histoire mi poursuit », conclut-il, en levant les yeux au ciel.
*Jusqu’au 18 mai au théâtre de Passy.
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